La citadelle s'ouvre sur la ville
Depuis l’ouverture en septembre 2018 de l’Université de Picardie Jules-Verne, le site magistral de la rue des Français Libres respire. Autrefois fermé sur lui-même, ce pentagone à trois bastions ouvre son parc public et ses bâtiments universitaires à de nombreux usages. Overview donne la parole à ceux qui ont transformé la Citadelle et à ceux qui vivent dans son enceinte apaisée.


JEAN-MAURICE MOULÈNE
Directeur du projet Citadelle pour Amiens Aménagement, mandataire de l’opération.
Aujourd’hui Chargé de mission Campus au Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, défend l’esprit pionnier qui a soufflé sur la métamorphose du monument picard.
Effacer les limites de l’université
Les Unités de Formation et de Recherche de l’UPJV trouvent toutes leurs adresses sur la place centrale, bordée de deux rues couvertes. Les UFR de Lettres, Histoire Géographie, Sciences humaines, sociales et Philosophie côtoient l’école supérieure du professorat et de l’éducation, la bibliothèque universitaire, un pôle d’amphithéâtres, un équipement sportif, une Maison des langues, une brasserie… et rassemblent sous leurs toits de multiples usages.
Pour qu’ils aient envie d’en profiter, les Amiénois ont été largement invités à découvrir les coulisses de la transformation des lieux.

Inspiration américaine
J’ai été consulté pour ce projet parce que j’ai travaillé sur des programmes d’enseignement supérieur comme « Université 2000 » et sur le développement immobilier de campus universitaires en Californie. Aux Etats-Unis, les établissements d’enseignement supérieur sont conçus comme des vitrines ouvertes sur l’extérieur. Cette ouverture est possible grâce à l’implication d’une large communauté, qui va du « Dean » (le Président de l’Université) au voisin qui promène son chien sur le campus, profite des manifestations culturelles, suit des cours ou fréquente les commerces.
Citadelle abandonnée
Fin 2009, j’ai découvert cette forteresse oubliée du 17e siècle. Abrité par son enceinte, au cœur d’un vaste écrin végétal, se trouvait un ensemble bâti composé d’ouvrages historiques datant du 14 au 19e siècle. Gilles de Mailly, alors Maire et Président d’Amiens Métropole, ancien Président de l’UPJV, souhaitait reprendre le projet de Gilles de Robien en installant un pôle universitaire dans la Citadelle. Avec sa topographie, sa végétation, la singularité du bâti existant, le site disposait d’un réel potentiel pour la réalisation de ce programme. Les élus ont rapidement défini les enjeux du développement urbain.
Coup de cœur des Amiénois
En 2011, le choix de Renzo Piano et de l’équipe conduite par Paul Vincent s’est imposé comme une évidence. Cette même année, après quatre siècles de fermeture au public, 10 000 personnes ont visité la Citadelle durant les Journées Européennes du Patrimoine. Ce chiffre illustrait bien la curiosité et l’adhésion de la population pour la reconversion de la Citadelle. Tout a ensuite été mis en œuvre pour encourager cette relation entre le public et le site.
Obstacles du chantier
Compte tenu de l’échelle du projet - 30 000 m2 de surface d’enseignement sur une emprise totale de 18 hectares - nous avons inévitablement rencontré de nombreuses difficultés. La plus forte était liée à la nature du sol avec ses nombreuses cavités souterraines. La présence d’une colonie de chauves-souris protégée dans les galeries a interrompu les travaux chaque année, entre octobre et avril, sur un large secteur. Il faut ajouter des contraintes liées à la dimension patrimoniale comme les fouilles archéologiques menées en parallèle du chantier de construction et le contrôle de l’Architecte des Bâtiments de France.
170 ouvriers ont travaillé en lots séparés, dans des conditions parfois difficiles, du fait de la topographie, de l’exiguïté des aires de stockage et de certaines interventions sensibles.

Enjeux pour l’avenir
La Citadelle est aujourd’hui transformée et ouverte à tous ! Néanmoins, la plus grande difficulté reste devant nous. Ce site a été conçu pour vivre 365 jours par an. Le parc public de 10 hectares, la nouvelle place d’armes, le vaste belvédère qui surplombe la ville et sa cathédrale, l’utilisation de certains espaces universitaires, les commerces, l’œuvre sonore de Nicolas Frize, doivent accroitre la fréquentation quotidienne.
L’animation et la gestion des espaces publics dans le temps sont donc nécessaires.
Innovations remarquables
Longtemps considérés comme de simples équipements urbains, les établissements universitaires français tendent à devenir des points forts de l’aménagement et de l’urbanisme. La qualité des bâtiments et des espaces extérieurs, leur desserte, leur offre de services, leur mixité d’usages contribuent à renforcer l’attractivité des campus, de leur territoire, et le sentiment d’appartenance des enseignants-chercheurs, des étudiants et des habitants.
La Citadelle fait donc désormais référence à plusieurs titres :
- Reconquête d’une ancienne friche militaire
- Valorisation d’un patrimoine bâti et végétal
- Innovation technique et artistique
- Hiérarchisation de l’espace public
- Ouverture de l’espace à de nouvelles activités et populations 365 jour par an
- Respect des continuités écologiques
Vision à suivre
Renzo Piano et l’équipe conduite par Paul Vincent ont répondu aux enjeux de développement identifiés par les élus. Cette opération a développé une grande complicité entre le site, son territoire et ses habitants. Avec l’effort actuel mené par le Ministère de l’Enseignement Supérieur sur la dévolution et la valorisation des établissements universitaires, cette réalisation va inspirer d’autres projets. A ce titre, la Citadelle figure dans le guide pour l’aménagement des sites universitaires publié cette année par l’EPAURIF et l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile de France.

CLAIRE LEFORT
Responsable du Centre d'Interprétation de l'Architecture et du Patrimoine (CIAP) Amiens Métropole, médiatrice culturelle de la Maison du projet pendant le chantier, retrace les temps forts de son action pour rendre la Citadelle accessible aux Amiénois et aux touristes.
Eclairer le chantier
C’est un vrai défi de médiatiser un projet ambitieux, engageant la requalification d’un site patrimonial exceptionnel. Le chantier nous a donné l’opportunité de faire la lumière sur les acteurs du projet et sur la fabrique de la ville. Comment restaure-t-on un monument historique ? Qui s’en charge ? Avec quels outils ? Il s’agit d’éveiller la conscience citoyenne, d’ouvrir le regard sur la cité, matière mouvante par essence.
Le chantier est un spectacle à part entière, qui fascine et mérite de sortir de son habituel secret, pour dévoiler ses charmes aux habitants.
Guider les publics
De l’archéologie à l’architecture contemporaine en passant par la faune et la flore, la Citadelle est riche. Cette densité nécessite un accompagnement spécifique des publics pour faciliter sa compréhension. La Maison du projet Citadelle, rattachée au service patrimoine d’Amiens Métropole, a accueilli une exposition sur l’histoire et le devenir urbain de la Citadelle. Iconographie, maquettes, archives, matériauthèque… enrichissaient le propos. Accessible librement ou avec un guide, cet équipement a permis de structurer une programmation associée : conférences des acteurs du projet (archéologue, paysagiste, naturaliste, architectes, ingénieurs, conducteurs de travaux…), ateliers familles et jeune public, visites de chantier…
La Maison du projet a été intégrée à des manifestations nationales impulsées par le ministère de la culture, comme les journées européennes du patrimoine, les RDV aux jardins, la fête de la science… Notre priorité étant de nous adresser au public de proximité, conformément à nos engagements auprès du ministère au titre du label « Pays d’art et d’histoire ».
Pérenniser les visites
Après la fermeture de la Maison du projet, un catalogue de synthèse a été édité. La Citadelle a fait l’objet d’une exposition temporaire au sein du CIAP (augmentée par un prêt exceptionnel de maquettes de l’agence RPBW) et les visites guidées du site continuent à destination du public enseignant, étudiant, des usagers ; le weekend end pour les visiteurs occasionnels et les touristes. Plusieurs entrées s’y prêtent : l’archéologie, l’architecture militaire du XVIe siècle, l’urbanisme… A elle seule, la Citadelle concentre un nombre d’enjeux contemporains considérable.
Attirer de nouveaux publics
Cette richesse patrimoniale va désormais entrer dans les parcours de découverte de la ville. L’office de tourisme d’Amiens Métropole dispose par ailleurs d’une personne chargée de conseiller les organisateurs de congrès. La Citadelle, avec tous ses espaces, représente une belle offre de privatisation valorisée par une brochure spécifique, qui attire indéniablement des entreprises soucieuses d’organiser des événements dans un cadre atypique.
SANDRINE DE SOLAN
Responsable de la Bibliothèque universitaire, observe la force d’attraction de la Citadelle et cultive la variété des publics dans les travées de la BU.

Lecture pour tous
Les bibliothèques universitaires sont publiques, ouvertes à tous sans restriction. N’importe qui peut venir lire ou étudier sur place gratuitement. Pour emprunter et utiliser les services de la BU, en revanche, il faut faire partie de l’université ou bien s’inscrire comme lecteur autorisé.
L’architecture révèle la culture
Notre bibliothèque est un centre de ressources pour tous ceux qui se forment et s’informent. Nos collections ont vocation à compléter celles de la bibliothèque municipale.
Le geste architectural de Renzo Piano a rendu la BU plus visible et c’est très positif.
Les lieux de culture sont souvent ouverts sur l’extérieur, mais cela ne se sait pas assez. Avec l’ouverture de la Citadelle, on a beaucoup parlé de la bibliothèque et c’est une excellente chose.
Ici, ça bouge !
Nous recevons des groupes de collégiens, des lycéens que nous ne voyions pas quand nous étions dans l’ancien Campus, principalement au moment des révisions du bac ou dans le cadre des « cordées de la réussite ». Nous avons aussi des curieux qui passant à la Citadelle, tiennent à visiter la bibliothèque. Nos animations attirent plus de public extérieur et nous sommes souvent sollicités pour des expositions ou des événements culturels. Le monde éducatif s’approprie notre BU, pas seulement la communauté universitaire.
La culture prépare l’avenir
Notre volonté d’ouverture correspond au fait que nous souhaitons mieux préparer les jeunes à ce qui les attend après le bac, et réduire l’échec en 1ère année de licence.
SOPHIE DELAHAYE
Responsable du restaurant Bio’ty Food situé sur la place d’armes, valorise les productions régionales et s’engage à éduquer le palais de ses hôtes.

Retrouver l’équilibre
Il parait urgent (vital) de sensibiliser les futurs acteurs de notre société : la planète va mal et nous aussi, essentiellement à cause de l'alimentation. Il est temps d’adopter un mode de consommation qui, en prenant soin de nous, prend soin de la planète et des humains qui la travaillent. Les étudiants et le personnel enseignant sont des cibles et des relais pour ce message. Le goût, la saison, la vie, le respect : je mélange tout ça pour eux dans une lunch box biodégradable !
Faire vivre les lieux
Pour que les Amiénois vivent de bons moments à la Citadelle, il ne faut pas en faire un lieu de consommation type « zone commerciale », ce serait un contre-sens. Il faut améliorer la signalétique des entrées et stationnements, et organiser des animations culturelles récurrentes (concerts, cinéma de plein air, représentations théâtrales, événements à la bibliothèque, marché de produits locaux le samedi matin, manifestations associatives…)
Le tourisme d'affaires devrait aussi se développer avec des visites régulières, tout comme l'ouverture des salles universitaires aux expositions hors périodes scolaires.

LA VOIX DES GENS
« Notre manière de concevoir la ville, plurielle, interdisciplinaire, peut heurter certains décideurs. Mais le cahier des charges innovant de ce projet est par exemple le premier à avoir intégré un musicien dans le cadre du « 1% culturel ». Pendant le chantier, le musicien Nicolas Frize a enregistré 1500 rumeurs - des voix des habitants et des acteurs de la Métropole d'Amiens - captées dans la rue, dans les amphithéâtres, sur la place... Elles sont diffusées régulièrement depuis l'inauguration. »
Paul Vincent - Architecte en chef du projet Citadelle - Université d'Amiens

« J’ai envie de venir à la Citadelle avec mes amis, pour le plaisir »
Zelih Zeynep Kesik - Étudiante à l'UPJV

« Ici on se sent libre, on peut faire du sport au gymnase, rester après les cours »
Yann Nyangasa - Étudiant à l'UPJV
MARIE-RENÉE LABAT
Membre du comité de quartier Saint-Pierre
« La Citadelle est un phare dans la ville et j’aimerais que les habitants des quartiers alentours se le réapproprient. Nous pourrions le faire vivre avec la Fête des Noix qui commémore un épisode historique d’Amiens, et avec un jardin partagé… Nous traversons la Citadelle tous les mardis au cours de notre marche mais nous pourrions y rester plus longtemps ! »


« Nous sommes heureux qu’un site militaire soit devenu un lieu de savoir. »
Catherine Grall - Professeure de lettres
Dedans / dehors : un lien utile et redéfini
« La vertu se retrouve partout à la Citadelle d’Amiens, revendique Paul Vincent, sur le plan sociétal mais aussi environnemental. » Ainsi, dans ce nouveau quartier ouvert, transparent, fortement vitré et totalement végétalisé, la fluidité s'impose.
Entre le ciel et la terre, l’eau circule !
Les 14 hectares du site n'ont pas été étanchéisés pour que les sols et toitures végétalisées diminuent la température de deux à trois degrés et laisse la pluie alimenter la nappe phréatique, librement. Ainsi, la porosité du toit-terrasse du casernement (1500m²) et du sol de la place d’armes (3500 m²) est maîtrisée par 50 000 éléments de terre cuite (photo 2). Ces « diabolos », inventés et brevetés par Paul Vincent et Philippe Malé (Terreal), sont posés sur une superposition de couches drainantes de graves et de sablons.


Rafraîchissement naturel
La ventilation est renforcée dans trois bâtiments par 8000 m² de voussoirs, des pièces de terre crue formant une succession de petites voûtes en berceau qui donnent du relief au plafond, intègrent les gaines électriques en toute discrétion et conduisent l’air de la trame centrale des bâtiments vers les façades vitrées (photos 1 et 3).
Cette première mondiale, signée Paul Vincent, Olivier Canat (AIA Ingénierie) et Philippe Malé (Terreal), joue un rôle clé dans le système d’asservissement des ouvrants à la température.
L'air traverse la tour signal
« Comme une voiture nouvelle génération, notre « boîte rouge » est hybride, ventilée par l'air montant du sol. Sa régulation naturelle programme un passage d'air à 1,5 m/seconde pour rafraîchir l'intérieur et éviter les méfaits de la climatisation pendant la plus grande partie de l'année. »
Paul Vincent - Architecte en chef du projet Citadelle - Université d'Amiens

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